Chroniques : Le 16 mai 2019
Bonjour
Des températures estivales se sont enfin installées après ce printemps, ce début mai, exceptionnellement froids cette année. La verdure est belle, neuve, luxuriante ; les ciels s'habillent d'un bleu pur... Voilà, le 1er mai, nous avons changé d'époque, passant de l'ère Héiséi 平成, qui a duré 30 ans, à Reiwa 令和, prononcer "Léi-oua". En effet, lorsqu'un empereur change, l'époque aussi! Akihito a donc terminé son règne le 30 avril dernier, cédant gracieusement sa place à son fils Naruhito. Ce fut un peu particulier car, en principe, le nouvel empereur succède à l'ancien après la mort de celui-ci. Là, il avait abdiqué car fatigué et se jugeait trop âgé pour la fonction. Une première dans l'histoire. Par conséquent, le fils n'est, cette fois pas monté sur le trône envahi du chagrin de la perte de son père, et c'est aussi pourquoi, les évènements ont pu se dérouler dans un esprit plutôt festif. Non, au Japon un changement d'ère n'avait jamais été aussi gai, même si, bien entendu solennel. Plusieurs jours avant, le compte à rebours jusqu'au jour J et à l'heure H s'affichait sur les écrans télé, beaucoup d'hôtels étoilés affichaient complet de jeunes couples allant fêter cela dans une belle chambre, avec de bons repas et du champagne! Nous avons également bu un verre de crémant d'Alsace pour l'occasion. Et, à minuit, mon mari avait insisté pour que nous nous tournions dans la direction approximative du palais impérial de Tokyo pour lever nos deux bras tendus en nous écriant "Banzaï"!
Voilà, au coeur de ce printemps, le Japon est donc passé de l'an 31 de l'ère Heisei, à l'an 1 de l'ère Reiwa! Une année grégorienne, deux ères! Cette ère Heisei qui m'a vu arriver, découvrir le Japon, m'y installer, naitre ma fille... l'époque de l'informatique, des téléphones portables, des réseaux sociaux du début de la crise économique et de deux séismes majeurs... On l'avait nommée Heisei 平成 "devenir paisible", en réaction à l'époque précédente Shôwa 昭和, celle de Hirohito, marquée par les horreurs de la guerre. Là, par rapport à trop de catastrophes naturelles de Héiséi, Réiwa, la "paix ou l'harmonie, ordonnée". Personnellement je n'aime pas trop le son "Léi", car me fait penser à "réfrigérateur" ou "rigeur, ordre", une espèce de dictature stricte... Les Japonais, en général aiment bien, trouvent le terme classe, disent que cela veut dire plutôt "pureté", l'"harmonie pure". Il a été compliqué, délicat, de choisir cette appellation. Ce sont des personnes spécifiques qui s'en occupent. Je me demande pourquoi la tâche n'est pas confiée au nouvel empereur puisqu'il s'agit tout de même de son ère! Mais non, là non plus, il n'a rien à dire le pauvre, et doit se contenter de faire la marionnette et de prier pour le peuple japonais. La plupart des gens le respectent beaucoup et parlent de lui et de sa famille en termes honorifiques. Une seule personne m'a confié qu'elle trouvait tout d'une théâtralisation insensée et vide. Je trouve cela assez fascinant, ces costumes, ces rituels millénaires... Ils donnent peut-être une certaine âme, unité spirituelle au pays...
Lecture
Le livre qui accompagne actuellement mes déplacements sur les banquettes parallèles face à face des trains japonais, je viens de le dénicher dans une vente de livres étrangers bradés de la grande librairie Kinokuniya: Le vide et le plein, carnets du Japon 1964-1970 du célèbre Nicolas Bouvier. Ecrit pourtant avant ma naissance, j'y retrouve au fil des pages, avec surprise, des constats et des impressions sur le pays qui me parlent énormément aujourd'hui encore. En exemple : Eliane, la femme de l'auteur, se rend dans un hôpital pour des examens médicaux. On lui mesure sa tension artérielle. Le médecin diagnostique 11, (110 ici) et lui dit alors : "Je ne sais pas ce que vous, Occidentaux, obtenez d'habitude comme chiffres de tension, mais pour un Japonais, cela serait très bon". Toujours à nous ramener à cette image qu'ils ont de nous d'"êtres d'un autre type". Ou alors cet extrait : Vous êtes le seul à vous étonner, et, finalement, à douter de vos sens. Le Japon me fait souvent cet effet-là, comme dans mes rêves où tout parait normal jusqu'au moment où l'on s'aperçoit que les aiguilles de la montre tournent à l'envers... C'est exactement ça! Non, le Japon ne semble pas avoir changé depuis!
De la visite
J'accueille chez moi deux Japonaises de mon quartier pour une petite leçon de conversation française. Je les fais entrer. Elles s'apprêtent à retirer leurs chaussures, mais, mince, je n'ai pas de pantoufles pour elles et le sol est encore froid. Je réussis à extraire du fond de mon armoire deux paires de crocs propres, hygiéniques, aérées, confortables, isolant bien le pied. Les filles se regardent d'un air complice en s'adressant un de ces sourires aigre et embarrassé, pour se retourner vers moi avec une expression qui me dit "dans quelle situation malaisée vous nous mettez donc là", secouant la main devant leurs yeux dans un "non non, ça ira, on préfère rester pieds nus". Soit. Dôzo. Oui, il y a longtemps que j'ai laissé tomber, je ne vais pas encore m'inquiéter, culpabiliser, d'avoir malgré moi et ma bonne volonté été, je ne sais de quelle manière, impolie avec ces personnes, sinon, je ne pourrais plus faire un pas sans craindre qu'il ne soit de travers. On marche vraiment souvent sur la tête dans ce pays. Et, si ça leur plait, ma foi... Nous nous installons à la table de ma salle à manger entourée de grandes vitres à la manière d'une véranda. Les fins rideaux blancs qui les couvrent laissent filtrer une belle lumière naturelle. Mes invitées n'ont toujours pas l'air à l'aise regardant autour d'elles d'un air inquiet, jusqu'à ce que l'une d'elles me demande d'un ton hésitant si elle peut tirer l'épais rideau sur les fenêtres parce que... vous comprenez, c'est qu'on pourrait nous voir, de dehors... Dôzo (je vous en prie). J'allume la lumière artificielle...
A bientôt pour de nouvelles chroniques!
Kansaijin
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